samedi 19 décembre 2009

Technocosme

Rien de plus évident que de constater que nous vivons désormais dans un technocosme : il ne s'agit pas seulement des réseaux enchevêtrés de communications qui, sous formes de route, de lignes aériennes, de mégalopoles, de conurbation ou plus subtilement d'un filet ondulatoire extrêmement dense, recouvrent la planète et l'encerclent technologiquement. Il s'agit aussi, et peut-être plus profondément, de la perception du monde comme un objet hypercomplexe et systématique.
Ainsi, les moyens techniques nous ont désormais habitué à voir l'image de la planète par photo satellite. Nous pouvons même la faire tourner comme bon nous semble par simples clics de souris. Cette vision du globe est tellement banale qu'elle occulte qu'il s'agit d'une mutation essentielle du rapport de l'homme au monde : en ayant désormais coutume de voir le monde se changer en planète, celui-ci est devenu un objet et, par conséquent, il est devenu manipulable. Le monde, le Tout, est justement cela qui n'apparaît pas comme un objet puisque c'est l'horizon ou le milieu universel qui constitue le fond sur lequel des objets apparaissent et reçoivent leur place et leur sens. Aujourd'hui ce Tout, notre monde, grâce à la technique peut être saisi d'un seul regard et devient manipulable. Cela change considérablement notre rapport à la terre : au-delà des faciles nostalgie des "retours à la nature" totalement irréalistes, l'écologie constitue la prise de conscience de plus en plus lucide et organisée de cette nouvelle aperception du monde. Tel est d'ailleurs le sens philosophique profond de l'écologie : le monde, en entrant globalement dans le champ de notre action technique entre en même temps dans celui de notre responsabilité. Promouvoir une technique de portée planétaire sans avoir conscience de cette portée et sans l'assumer lucidement a conduit aux maux que nous éprouvons aujourd'hui : pollution, déséquilibre de l'homéostase gazeuse et climatique, disparition de nombreuses espèces végétales et animales, etc. Devenue technocosme et objet, la terre est désormais à surveiller et à gérer. Cette surveillance est elle-même intégralement technique : des données automatiquement enregistrées, transmises et traitées par ordinateur. Au bout de la chaîne, l'homme intervient en tant que technicien.

Le technoscosme dans lequel nous vivons est un univers de "boîtes noires" et ce technocosme lui-même est une gigantesque boîte noire. Une "boîte noire", c'est tout objet complexe qui se dissimule sous une surface lisse pourvue de points de fonctionnement (cadrans, boutons, manettes, etc.) et dont l'usage n'exige pas que l'utilisateur pénètre la complexité interne. Nous savons comment utiliser les boîtes noires qui nous entourent, mais nous ignorons tout de leur structure profonde et de leur mode de production. Cela est vrai de la machine à laver à l'avion, de la TV à la voiture, du téléphone au métro, de l'ordinateur à la console vidéo. Notre univers est une imbrication de boîtes noires interconnectées. Mais cette opacité du milieu technicien est très différente de l'opacité primitive que pouvait avoir la nature. D'abord parce que la nature était réellement énigmatique, alors que le technocosme est en droit transparent. Nous ne comprenons pas, mais nous savons que pour chaque espèce de boîtes noires, il existe ceux qui savent : les techniciens, les ingénieurs. Ensuite, parce que le milieu naturel n'a pas été produit par l'homme et qu'il s'entretient de lui-même alors que le milieu technicien reste dépendant de l'homme pour son entretien et son fonctionnement. Il ne se répare pas et n'évolue pas de lui-même. Cependant, depuis que le technocosme a acquis une dimension planétaire, cette dépendance retentit sur la nature : bousculée, contrainte, manipulée et intégrée par la technique, la nature a désormais besoin d'être protégée, gérée, "réparée". Cette extension de la technique au monde vaut aussi, sur un plan plus abstrait, pour la représentation de la nature en général. Elle consiste principalement à prolonger la notion de "boîtes noires" à tous les phénomènes et productions naturels. Ayant totalement foi dans la technoscience, l'homme occidental est ainsi conduit à penser que de la molécule à l'étoile, de la cellule à l'homme, tout fonctionne à la façon de machines et qu'il y a pour chaque espèce de machines naturelles des spécialistes qui savent. Bref, vivant de facto dans un monde totalement opaque, l'Occidental envisage la nature comme un monde en droit et en principe totalement transparent. Les conséquences sont énormes. Elles expliquent pourquoi il est difficile, voire impossible, à l'homme d'être encore au monde par le langage et la symbolisation. La relation symbolique est en effet totalement inadéquate au technocosme. D'abord par en raison de son inefficience : le technocosme a besoin pour subsister d'une relation technique, efficace. Tel n'était pas le cas de la nature puisqu'elle prenait soin d'elle-même. Ensuite parce que la symbolisation apparaît, par rapport à la réalité technocosmique, comme immédiatement impropre, métaphorique, gratuite et non fondée. Elle ne trouve de justification qu'à titre de jeu. Pour une nature éprouvée comme mystérieuse, au contraire, l'être-au-monde-par-le-langage représentait une organisation symbolique spontanée et légitime, donnant du sens là ou régnait l'obscurité. Ayant perdu le sens du mystère, l'homme a perdu en même temps le sens du sens. Tant que le mystère régnait et qu'il n'y avait pas de relation "adéquate" (efficace, techno-mathématique) au réel, la relation symbolique était la seule possible et légitime. La relation symbolique dans et à un univers technicien, en revanche, ne peut apparaître que fausse, obscurantiste, puérile et gratuite puisqu'il existe un rapport technoscientifique adéquat présumé applicable à l'univers entier. La relation technoscientifique au monde se présente ainsi comme la seule adéquate, la seule vraie.
Encore que cette manière de formuler les choses est un peu abusive. La relation technoscientifique au réel ne devrait pas être déclarée comme vraie ou adéquate mais plutôt comme opérationnelle et efficace. Ni plus "vraie", ni "moins métaphysique" que la relation symbolique, elle est, en réalité, d'une autre nature. Autrement dit, la technoscience ne nous fait pas changer de représentation du monde : elle nous fait changer d'être-au-monde. Elle nous arrache à l'être-au-monde-par-le-langage, à la symbolisation universelle, pour nous faire entrer dans la fonctionnalisation et la manipulation universelle. Du règne symbolique au règne technicien, il y a une mutation radicale.
On peut toutefois se demander si dans ce règne technocosmique, il n'y a pas quelque illusion. L'idée notamment qu'il existe des gens qui savent et pour qui le technocosme est transparent. Où du moins que cette transparence est à la portée des "technoscients". Or, fondamentalement combinatoire, pluridisciplinaire, la technique échappe à la maîtrise individuelle. Le généticien est incapable de réparer l'ordinateur qu'il utilise, et pour prendre un exemple extrême, la complexité d'une navette spatiale est telle que personne n'est capable de la concevoir. L'intégration de la nature et de l'homme dans le technocosme a fait de celui-ci une "réalité" d'une complexité inimaginable et largement imprévisible. On est réduit à fabriquer à son propos des "modèles" ou des probabilités d'évolution plus ou moins partiels et fragmentaires que l'on appelle des scénarios. Et souvent, des scénarios totalement opposés apparaissent comme également probables. Voyez les débats sur les causes et les conséquences du "réchauffement climatique". La présupposition de transparence techno-scientifique est donc contestable à plusieurs niveaux :
- parce que l'extension de la notion de "boîtes noires" aux phénomènes naturels et, au-delà, à l'univers entier, n'est qu'une croyance, certes motrice de l'essor techno-scientifique, mais aussi conditionnée par la techno-science ;
- parce que la distinction entre ceux qui ne savent pas (le profane) et les technoscients est au mieux une affaire de degré. Ceci signifie que l'idée d'une culture technique considérée par beaucoup comme une panacée procède d'une illusion totale. Une illusion de "gens de lettres" plus que de technoscients qui se heurtent quotidiennement à l'opacité de ce qui devrait leur être transparent. Ce n'est pas parce que j'aurai appris (approximativement) comment fonctionne ma TV ou que je saurai réparer ma voiture que j'aurai davantage (si je suis lucide) l'impression de vivre dans un monde transparent, maîtrisé et en accord avec la nature des choses.

Originellement, la technique est un ensemble d'outils, de moyens, d'instruments. Elle est l'expression concrète d'une rationalité instrumentale. Mais tout moyen et tout instrument n'a de sens et de valeur que par rapport à des fins et des buts dont la source n'est jamais la raison purement instrumentale elle-même. La question qui se pose alors est la suivante : que se passe-t-il lorsque la rationalité instrumentale et technicienne englobe tout, sans plus laisser d'espace à partir d'où donner un sens et une finalité à ce qu'elle met en oeuvre ? Qu'arrive-t-il lorsque la rationalité instrumentale devient totale et totalitaire ? Elle se mue dans un non-sens absolu, dans une irrationalité radicale. La technique contemporaine s'est faite englobante, systématique, totale. Elle s'est faite univers en enveloppant la nature et la culture d'où elle tenait naguère son sens. Si notre univers technoscientifique veut encore éviter de se muer en un univers totalement irrationnel, dénué de tout sens autre que celui de son fonctionnement rond et de sa croissance infinie, il faut qu'il accorde à la nature et à la culture autant de places qu'aux exigences proprement techniques et qu'il ne subordonne pas celles-là à celles-ci. L'homme habite un monde et vit une histoire : il ne peut, en tant qu'homme, habiter une machine et se résorber dans l'instrumentalité de moyens et de fonctions dépourvues de sens et de fin. Sans horizon culturel et naturel, l'homme déserte son essence.
La technoscience suit ce que Jacques Ellul a appelé l'impératif technicien : il faut exploiter, actualiser tout le possible, exercer toute la puissance, réaliser toutes les expériences, tout tenter. Cet impératif est l'expression même d'une liberté nihiliste, c'est-à-dire dénué de responsabilité et de sens. La liberté nihiliste est a-morale car être moral consiste justement à ne pas faire tout ce que l'on est capable de faire : à restreindre librement sa liberté. Le monde ne peut devenir l'expression de notre liberté nihiliste. Il n'est pas le laboratoire de la puissance technicienne. Il ne faut pas y essayer tout ce qui est techniquement possible sans limites, ni respect : respect des individus et des collectivités différenciées qui y vivent, respect de l'histoire, respect du sens. Si notre monde a encore une chance de liberté, il ne peut s'agir que de liberté humaine, pas de la liberté nihiliste de l'exercice de la puissance pour la puissance.

Plusieurs récits de science-fiction ou d'utopie décrivent des villes futures rondes et closes, lisses comme des machines hautement sophistiquées : univers de boîtes noires ou technocosmes parfaits. Et l'histoire que ces récits rapportent sempiternellement est celle de la tentative d'un individu ou d'un groupe de sortir de la ville. Sortir de la machine pour retrouver la transparence et le mystère de la nature et du devenir, renouer avec le sens. Un espace libre et humain serait donc un espace qui n'entretiendrait pas le désir compulsif et chronique de s'en échapper...

Billet librement inspiré d'un texte de Gilbert Hottois (1986), La mutation technicienne. In P. Ansay et R. Schoonbrodt (Eds.), Penser la ville. Bruxelles : Editions des Archives d'Architecture Moderne.

mercredi 25 novembre 2009

Un des Baumugnes

Je viens de refermer "Un de Beaumugnes" de Jean Giono. Un des romans les plus ardents qu'il m'ait été donné de lire. Un ton rude et franc. En véritable poète, Giono chante le jaillissement de la vie, l’extraordinaire bonheur d’exister, la jouissance que procurent les richesses naturelles par opposition à une morale du sacrifice et du renoncement. Giono nous donne à voir une acceptation lucide mais tranquille de la condition humaine. Les personnages sont entiers, généreux, vivants. Ils ont du nerf, de la répartie, du cœur et de l’épaisseur. Dans cet extrait, il est question de musique (et de nature aussi) d'une façon telle que j'en ai rarement lu.
Voici la scène (dont ce résumé est une trahison par rapport à l'intensité de ce livre) : au début du XXème siècle, un homme (Albin), amoureux fou d'une fille (Angèle) qu'il n'a aperçu qu'une fois trois ans auparavant, la retrouve tenue enfermée par ses parents parce que "fille-mère". En pleine nuit, il vient lui "parler", à sa façon, en jouant de l'harmonica. Le narrateur décrit la scène...

"Il a dû arriver là, en face de la ferme et s'asseoir sur le tronc courbé du figuier, et moi je l'avais perdu dans le feuillage de l'arbre et aussi dans le feuillage de la pensée parce que la nuit, c'est toujours un peu câlin ; et puis d'un coup, j'ai reçu la chose en travers de la figure.
Ah, je dis bien : en travers de la figure, parce que ça m'a fait l'effet d'un coup de pierre.
Il appelait ça parler à Angèle !
Certes, d'un côté, ça pouvait s'appeler comme ça, mais, au lieu de mots, c'étaient les choses elles-mêmes qu'il vous jetait dessus.
D'abord, ce fut comme un grand morceau de pays forestier arraché tout vivant, avec la terre, toute la chevelure des racines de sapins, les mousses, l'odeur des écorces ; une longue source blanche s'en égouttait au passage comme une queue de comète. Ça vient sur moi, ça me couvre de couleur, de fleurance et de bruits et ça fond dans la nuit sur ma droite.
Y avait de quoi vous couper l'haleine.
Alors, j'entends quelque chose comme vous diriez le vent de la montagne ou, plutôt, la voix de la montagne, le vol des perdrix, l'appel du berger et le ronflement des hautes herbes qui se baissent et se relèvent toutes ensemble, sous le vent.
Après, c'est comme un calme, le bruit d'un pas sur un chemin : et pan, et pan ; un pas long et lent qui monte et chante sur des pierres, et, le long de ce pas, des mouvements de haie et des clochettes comme à sa rencontre.
Ça s'anime, ça se resserre, ça fuse en gerbes d'odeur et de son, et ça s'épanouit : abois de chien, porte qui claque, foule qui court, porc, gros canard qui patouille la boue avec sa main jaune. Tout un village passe dans la nuit. J'ai le temps d'entendre un seau qui tinte sur le parquet, une poulie, un char, une femme qui appelle ; j'ai le temps de voir une petite fille comme une pomme, une femme les mains aux hanches, un homme blond, et ça s'efface.
Tout ça, c'était pur !
Là, il faut que je m'arrête et que je vous dise bien, parce que c'est ça qui faisait la force de toute la musique, combien on avait entassé de choses pures là-dedans.
Ce qui frappait, ce qui ravissait la volonté de bouger bras et jambes, et qui gonflait votre respiration, c'était la pureté.
C'était une eau pure et froide que le gosier ne s'arrêtait pas de vouloir et d'avaler ; on en était tout tremblant ; on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi, comme une abeille saoule qui se roule au fond d'une fleur.
Moi, vous savez, c'est pas pour dire, mais j'ai déjà entendu pas mal de musique et même, une fois, la musique des tramways qui est venue donner un concert à Peyruis pour la fête. J'avais payé ma chaise un sou ; c'est vrai qu'avec ça j'avais droit à un café. Y avait, pas loin de moi, la femme du notaire et la nièce du greffier ; et tout le temps, ç'a été des : "Oh, ça, que c'est beau !", "Oh, ma chère, cette fantaisie de clarinette !" Moi, j'écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux et que je trouvais doux : c'était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent.
La grosse caisse en mettait à tour de bras. Alors, je suis parti sans profiter de ma chaise et du café pour mieux entendre ce qu'elle disait, cette feuille.
Ça vient de ce qu'on n'a pas d'instruction ; que voulez-vous qu'on y fasse ? Cette feuille-là, elle me disait plus à moi que tous les autres en train de faire les acrobates autour d'une clarinette.
C'est comme ça.
Et bien, la musique d'Albin, elle était cette musique de feuilles de platane, et ça vous enlevait le coeur."

dimanche 15 novembre 2009

Moffou

Un extrait de l'album Moffou de Salif Keita. D'abord en témoignage de ma profonde affection pour le Mali, ensuite parce que le titre de l'album est beau : il provient du nom d'une petite flûte taillée dans une tige de mil, le moffou, jouée par les peuples du Sahel, entre autres, pour effrayer les oiseaux au moment des semis. Enfin, parce que je trouve ce titre splendide.


Salif Keita, Ana Na Ming. Album Moffou, 2002.

samedi 14 novembre 2009

Sujets d'examen

Je suis aujourd'hui de bonne composition et propose quelques sujets d'examen de tout poils offerts par... Pierre Desproges :

- La ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre (à condition que les deux points soient bien en face l'un de l'autre). Quelle est la définition de la ligne gauche ?

- Tout le monde sait que les travaux d'Hercule étaient 12. Mais savez-vous combien étaient les parents de Lamartine ?

- Sylvie va au marché. Elle a 35 euros dans son porte-monnaie. Elle achète 9 laitues à 1,20 euros et 14 laitues à 1,10 euros. Est-ce bien raisonnable ?

- Un sourd répond au nom de Christian. Là encore, est-ce bien raisonnable ?

- Un train, parti de A à 8h19, roule vers B, qui est situé à 129 kms de A, à une vitesse moyenne de 177 km/h. Dites pourquoi.

Et pour finir en beauté, un sujet de philosophie :
- En tant que voie d'accès à l'émancipation morale sans prise de conscience structurale au niveau du vécu libertaire, peut-on admettre que l'application de la liberté sexuelle dans les étables ougandaises est la porte ouverte à tous les zébus ?

mercredi 4 novembre 2009

Sublime judoka

Tout homme public entré en politique verra désormais ses "Mémoires" décortiquées (quel étonnement déjà de publier des "Mémoires" avant le crépuscule de son existence...). Après Frédéric Mitterrand, c'est au tour du judoka David Douillet d'en faire l'expérience. Lorsqu'il publie en 1998 son autobiographie, le tout récent champion olympique est loin de se douter que ses confessions seront minutieusement analysées quelque dix ans plus tard. Grâce au Canard enchaîné, c'est désormais chose faite.
Dans son édition du mercredi 4 novembre, l'hebdomadaire publie quelques-unes des meilleures feuilles de cet opus très sobrement intitulé L'Ame du conquérant (Robert Laffont, 1998). Justifiant sur trois pages ce qu'il appelle sa "misogynie rationnelle", le député des Yvelines y dévoile ses projets pour la femme du XXIe siècle : "Pour moi, une femme qui se bat au judo ou dans une autre discipline, ce n'est pas quelque chose de naturel, de valorisant, explique-t-il. Pour l'équilibre des enfants, je pense que la femme est mieux au foyer."
"C'est la mère qui a dans ses gènes, dans son instinct, cette faculté originelle d'élever des enfants. Si Dieu a donné le don de procréation aux femmes, ce n'est pas par hasard", poursuit-il. "De fait, cette femme-là, quand elle a une activité professionnelle externe, pour des raisons de choix ou de nécessité, elle ne peut plus jouer ce rôle d'accompagnement essentiel. (...) Je considère que ce noyau est déstructuré. Les fondements sur lesquels étaient bâtie l'humanité, l'éducation en particulier, sont en partie ébranlés", ajoute David Douillet, aujourd'hui membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée nationale. Oui, vous avez bien lu : affaires "culturelles" et "éducation".
Toutefois, visiblement davantage porté sur les affaires "naturelles" que "culturelles", il répond par avance aux critiques : "On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes !" Interrogé sur ce passage à plusieurs reprises après la publication de son ouvrage, David Douillet avait expliqué, à l'époque, que le terme de "tapette" visait seulement "les hommes qui ne s'assument pas"... Nous voilà rassurés.

Et dire qu'au même moment, Claude Levi-Strauss est mort... Quel bonheur doit-il éprouver d'avoir quitté une telle défaite de la pensée que ces deux derniers siècles nous imposent.

dimanche 25 octobre 2009

John Martyn

Dans la vaste famille du folk rock anglais qui brouille presque de façon instinctive les frontières entre chanson traditionnelle, jazz, blues et rock progressif, le guitariste et chanteur écossais John Martyn occupe une place de choix. Peu connu du large public, il n'en demeure pas moins un acteur aussi passionnant que capital d'un rock britannique profondément singulier et inspiré, délicatement radical, détaché de toute vision bassement commerciale.
De Solid Air, en 1973, à Dreams by the Sea, en passant par le splendide Road To Ruin, John Martyn a offert nombre d'enregistrements souvent lumineux, toujours tourmentés, reflet d'une existence en lutte constante contre une armée de démons (alcool, drogue, vie affective pour le moins très chaotique, perte d'une jambe en 2003) ; une impériale suite de chansons en apesanteur, rugueuses et aériennes, aussi gracieuses que douloureuses, dominé par un jeu de guitare époustouflant de sensibilité et un chant très particulier : une voix veloutée, avec laquelle il essaie de reproduire la chaleur et les harmonies d'un saxophone.
Martyn était un grand artisan folk, un manieur de mots désespéré et sensible que ses démons personnels ont lesté d'une gravité impressionnante.
Mort en janvier 2009 à l'âge de 60 ans, il rejoint le rang des grands disparus cruellement ignorés don l'oeuvre ne demande qu'à être découverte.


John Martyn, Head and Heart. Album Bless the weather, 1971.

vendredi 23 octobre 2009

Cantatrix sopranica L.

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire part de ce superbe article scientifique signé Georges Perec. Je vous conseille tout particulièrement la bibliographie : une perle !


Mise en évidence expérimentale d'une organisation tomatotopique chez la soprano (Cantatrix sopranica L.)

Georges PEREC
Laboratoire de physiologie
Faculté de médecine Saint-Antoine
Paris, France


RÉSUMÉ
L'auteur étudie le lancement de la tomate qui provoque la réaction yellante chez la cantatrice et démontre que plusieurs aires de la cervelle sont impliquées dans la réponse, en particulier le trajet légumier, les nuclei thalameux et le fiçure musicien de l'hémisphère nord.*


Les effets frappants du jet de tomates sur les sopranos, observés aux heures ultimes du siècle dernier par Marks et Spencer (1899) qui, les premiers, employèrent le terme de réaction de hurlements (RH), ont été largement décrits dans la littérature. Si de nombreuses études expérimentales (Zeeg & Puss, 1931; Roux & Combaluzier, 1932; Sinon & coll., 1948), anatomopathologique (Hun & Deu, 1960), comparative (Karybb & Szyla, 1973) et prospective (Else & Vire, 1974) ont permis de décrire avec précision ces réponses caractéristiques, les données neuroanatomiques, aussi bien que neurophysiologiques sont, en dépit de leur grand nombre, étonnamment confuses. Dans leurs démonstrations désormais classiques, publiées dans la fin des années 20. Chou & Lai (1927 a, 16, c, 1928 a, 16, 1929 a, 1930) ont écarté l'hypothèse d'un simple réflexe nociceptif facio-facial qui avait été émise il y a de nombreuses années par certains auteurs (Mace & Doyne, 1912; Payre & Tairnelle, 1916; Sornette & Billevayze, 1925).
Depuis lors, de nombreux travaux ont été menés pour tenter de résoudre l'énigme embrouillée ainsi que l'embrouillement énigmatique des versants afférent et/ou efférent de la RH et ont conduit à incriminer, de manière quelque peu chaotique, une multitude de structures et de voies : l'existence de voies afférentes trigéminale (Loewenstein et coll., 1930), bitrigéminale (Von Aitick, 1940), quadritrigéminale (Van der Deder, 1950), supra, infra et intertrigéminale (Mason & Ragoun, 1960) a été invoquée avec une certaine vraisemblance, de même que celle de canaux d'entrée maculaire (Zakouski, 1954), sacculaire (Bortsch, 1955), utriculaire (Malosol, 1956), ventriculaire (Tarama, 1957), monoculaire (Zubrowska, 1958), binoculaire (Chachlik, 1959-1960), trioculaire (Strogonoff, 1960), auditif (Balalaïka, 1515) et digestif (Alka-Seltzer, 1815). Des circuits spinothalamiques (Attou & Ratathou, 1974), rubrospinal (Maotz & Toung, 1973), nigrostrié (Szentagothai, 1972), réticulaire ( Pompeiano et coll. 1971), hypothalamique (Hubel & Wiesel, 1970), mésolimbique (Kuffler, 1969) et cérébelleux (High & Low, 1968) ont été explorés en vain, pour tenter d'élucider l'organisation de la RH, et la responsabilité de presque toutes les parties du cortex somesthésique (Pericoloso & Sporghersi, 1973), moteur (Ford, 1930), comissural (Gordon & Bogen, 1974) et associatif (Einstein et coll., 1974) a été évoquée dans le développement progressif de la réponse, bien que, jusqu'à maintenant, les mécanismes afférents et efférents de la RH n'aient jamais été explicités de manière décisive et convaincante.
Unsofort & Tchetera ont observé que " plus on jette de tomates sur les sopranos et plus elles crient "; par ailleurs, des études comparatives, par rapport à la réaction de gasp (Otis & Pifre, 1964), au hoquet (Carpentier & Fialip, 1964), au ronronnement du chat (Remmers & Gautier, 1972), au réflexe HM (Vincent et coll., 1976), à la ventriloquie (Mc Culloch et coll., 1964), aux cris perçants, aigus ou stridents et aux autres réactions hystériques (Sturm & Drang, 1973) provoquées par le jet de tomates, aussi bien que de choux, pommes, tartes à la crème, chaussures, billots et enclumes (Harvar & Mercy, 1973) ont conduit à l'hypothèse solide selon laquelle la RH est déterminée par un mécanisme de rétroaction positive, qui repose sur une interdigitation semilinéaire quadristable à embranchements multiples de sous-réseaux neuronaux fonctionnant en désordre (Beulott, Rebeloth & Dizdeudayre, 1974). Bien que cette hypothèse soit assez séduisante, les données anatomiques et physiologiques dont nous disposons sont insuffisantes pour pouvoir l'étayer. Nous avons donc décidé d'explorer de manière systématique l'organisation interne croissante ou décroissante de la RH pour tenter d'élaborer un modèle anatomique.


MATÉRIELS ET MÉTHODE

Préparation
L'expérimentation a porté sur 107 sopranos de sexe feminin, en bonne santé, pesant entre 94 et 124 kg (moyenne: 101 kg), qui nous ont été fournies par le Conservatoire National de Musique.La tracheotomie, la fixation dans l'Horslay-Clarke et la plupart des gestes opératoires ont été réalisés sous anesthésie par halothane. De la procaïne a 5 % a été injectée dans les berges cutanées et aux points de pression. Les animaux ont ensuite été immobilisés à l'aide de triéthyiodide de gallamine (40 mg/kg/heure) et maintenus en normocapnie grâce à une ventilation artificielle adaptée. Des dissections transversales de la moelle épinière ont été réalisées au niveau de L3/T2 ce qui a permis de supprimer les variations de la pression artérielle et de la sécrétion d'adrénaline induites par le jet de tomate (Giscard d'Estaing, 1974). A aucun moment les animaux n'ont souffert, comme le démontre le fait qu'ils n'aient pas cessé de sourire tout au long de l'expérimentation. La température interne a été maintenue à 38°C +/- 4°F à l'aide de 3 bouilloires électriques.

Stimulation
Les tomates (Tomato rungisia vulgaris) ont été lancées par un lanceur dc tomate automatique (Wait & See, 1972) commandé par un ordinateur de laboratoire polyvalent (DID/92/85/P331), avec traitement des données en série. Les jets répétitifs ont permis d'atteindre 9 projections par seconde, ce qui correspond aux conditions physiologiques rencontrées par les sopranos et les autres chanteuses sur la scène (Tebaldi, 1953). Nous avons pris soin d'éviter les projections ratées sur les membres supérieurs et/ou inférieurs, le tronc et les fesses. Seules les tomates atteignant la face et le cou ont été prises en compte.
Les données ont été contrôlées par rapport au lancement d'autres projectiles: trognons de pomme, rognures de choux, chapeaux, roses, citrouilles, balles de fusil et ketchup (Heinz, 1952).

Enregistrement
L'activité des différentes aires cérébrales a été enregistrée par l'intermédiaire de semi macro-électrodes en alliage verre-tungstène placées au petit bonheur * selon la méthode de Zyszytrakyczywsz-Sckrawszhwez (1974). La détection des pointes a été assurée par audiomonitoring : chaque fois qu'une décharge était entendue, elle était soigneusement photographiée, enregistrée, affichée sur un monographe et, après intégration, sur un polygraphe. L'analyse statistique des résultats a été réalisée au moyen d'un algorithme inspiré du tennis (Wimbledon, 1974), c'est-a-dire que chaque fois qu'une structure gagnait un jeu, elle était considérée comme étant impliquée dans la RH.

Histologie
Au terme de l'expérimentation, les sopranos ont été perfusées avec de l'huile d'olive et du Glennfidish à 10 %, et mise à incuber à 42,1°C pendant 47 heures, dans du jus d'orange à 15 %. Des coupes de tissus congelés, non colorées, de 2 cm d'épaisseur ont été montées dans un sorbet à la fraise et examinées en microscopie à balayage et à époussetage.
L'examen histologique a confirmé que toutes les électrodes étaient situées dans le cerveau, à l'exception de 4 d'entre elles, qui se trouvaient dans la queue de cheval et le filum terminal, et qui ont été exclues de l'analyse statistique.

RÉSULTATS
Les explorations stéreotaxiques du cerveau durant le jet de tomates ont montré que la plupart des aires cérébrales répondent de manière différentes à la stimulation tomatesthétique.Comme le montre le tableau 1, qui résume les principaux résultats observés, trois (3) aires distinctes ont donné des réponses constantes, précises et non ambiguës : le nucleus anterior reticularis thalami pars lateralis (NART pl), ou nucleus de Pesch (Pesch, 1876; Poissy, 1880, Jeanpace & Desmeyeurs, 1932), la partie antérieure du tractus leguminosus (paTL), qui est situé à 3,5 mm au?dessus de l'obex et à 4 mm à droite de la tente, et la partie dorsale de la région de l'hémisphère gauche dénommée " sulcus musical, (sc MS) (Donen & Kelly, 1956).
Il est intéressant de noter que si l'hémisphère gauche a été pris en compte pour l'analyse statistique, l'hémisphère droit a été laissé de côté**.

Tableau 1 : Réponses des différentes parties du cerveau à la stimulation tomatotopique à diverses fréquences

Fig. 1 : Activité des structures réagissant à la stimulation tomatique. Le trait horizontal indique le début et la fin du stimulus. Etalonnage : 3,1416 ms. Chaque tracé est formé par la superposition de 33,57 enregistrements successifs. Remarquez le point en A, la flèche en B et le triangle noir en C.


Des exemples de réponses de ces structures sont représentés sur la figure 1, où l'analyse temporelle de la distribution des pointes fondée sur les caractéristiques de la répartition aléatoire temporelle programée (RATP) des aires étudiées permet de distinguer 3 sous-types d'unités cérébrales : 1 ) les unités répondant avant la stimulation ; 2 ) les unités répondant au cours de la stimulation ; 3 ) les unités répondant après la stimulation.
La comparaison des réponses obtenues avec la stimulation par le ketchup et d'autres projectiles, résumée dans la figure 2, apporte des arguments indiscutables en faveur de l'existence d'une organisation tomatotopique de la RH le long, entre et à travers le NARTpl, la paTL et le scMS.

Fig. 2 : Exemples de réponses provoquées par la tomate et d'autres projectiles. Explications dans le texte A = tomate, B = pomme, C = chou, D = chapeau, E= roses, F = ketchup®, G = potiron, H = balle de fusil

Fig. 3 : Relation temporelle entre les réponses enregistrées dans la région impliquée dans la RH. Abcisse : unités arbitraires ; ordonnées : unités internationales.Explications dans le texte

Les relations temporelles entre ces réponses, illustrées par la figure 3, montrent que l'hypothèse d'une interdigitation en faisceau de sous-réseaux neuronaux est très probable, bien qu'aucune donnée expérimentale ne permette de le confirmer, en raison de la relative difficulté de pénétrer dans ces satanées structures sans détruire tout un tas de choses (Timeo et coll., 1971).

DISCUSSION
Il a été démontré plus haut que le jet de tomates provoque, outre un certain nombre d'autres réactions motrice, visuelle, végétative et comportementale, des réponses neuronales dans trois aires cérébrales distinctes : le nucleus anterior reticular thalami pars lateralis (NARTpl), la partie antérieure du tractus leguminosus (paTL) et la partie dorsale de la zone dénommée sulcus musicalis (sc MS).Comme l'ont démontré Chou & Lai (1929 ), Lai/Chou (1931a, ) et Unsofort & Tchetera (1972), le mécanisme de la RH ne peut être réduit à un simple réflexe oligosynaptique facio-facial nociceptif qui prendrait son relais dans les voies ascendantes tomatonergiques paleospinorubro-yello-tectocerebello-nigrostriées.Le fait que de la péroxydase de raifort injectée dans les cordes vocales des sopranos soit transportée de manière rétrograde des dendrites apicales des nefs vagues vers les synapses tomatotomatiques des voies afférentes du psudo-Gasser controlatéral (Mc Hulott et coll., 1975) démontre avec quelque vraisemblance la nature légumineuse du médiateur responsable de la transmission du message des territoires réceptifs à la tomate au circuit de la RTH (Colle et coll., 1973). La 3,5 (M-tri) argyril-β-L-tomatase, qui est trisynthétisée de manière élective sdans le faisceau du NARTpl-ap TL et dont la destruction inhibe totalement la RH (Others et coll., 1974), fait figure de principal candidat pour remplir le rôle de transmetteur dans la boucle de rétroaction de la RH, bien qu'une autre hypothèse, fondée sur les calculs de latence et les corrélations sur la fréquence des co-croisements, suggère l'existence possible d'une synapse tomatotonique (confère Dendritt & Haxon, 1975).

Fig. 4 : Tentative d'élaboration d'un modèle anatomique du mécanisme de la RH. Explications dans le texte ou ailleurs. Lignes contin ues = inhibition, lignes discontinues = interrogation, lignes étoilées = redhibition, lignes en pointillé = substentation.

Bien que l'on manque encore de données expérimentales indiscutables, et que d'autres essais soient nécessaires pour parvenir à élucider totalement le mécanisme de la RH, il semble logique de reconnaître que l'ensemble des arguments cités plus haut et des résultats expérimentaux rapportés dans notre travail militent en faveur de l'hypothèse d'une organisation semilinéaire, multistable à embranchements multiples, à réseau dorsal et à déterminisme alimentaire de la RH, ce qui permet de proposer un modèle anatomique (figure 4).

Ce travail a pu être mené grâce aux subventions accordées par le syndicat régional des producteurs de fruits et légumes, l'association française des amateurs d'art lyrique (AFAAL) et la fédération internationale des dactylo-bibliographes (FIDB).


RÉFÉRENCES
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* En français dans le texte
** NdT: pour restituer dans toute sa complexité la pensée de l'auteur, il semble indispensable de reproduire la phrase originale, qui était : "It is of interest to notice that, if the left hemisphere was kept for analysis, the right hemisphere was left".

mercredi 21 octobre 2009

Les syndromes du doctorant

Ci-dessous un billet plutôt drôle et pertinent extrait du site de mon collègue juriste nîmois Stéphane Darmaisin (http://www.darmaisin.com/blog/) auquel j'ai rajouté quelques éléments.

L’observation des parcours en thèse de différents étudiants permet de dégager toute une série de pathologies qu’il est nécessaire de s’employer à traiter pour améliorer le confort mental du doctorant. La liste qui suit donne un tableau non exhaustif des différents syndromes relevés à ce jour.

- Le syndrome de culpabilité : le malade entend en permanence une petite voix intérieure qui lui dit à chaque instant : "tu devrais être en train de travailler". Ce syndrome présente le défaut évident d’interdire toute pause ou toute décompression. Aucun remède connu à ce jour.

- Le syndrome colérique : le malade est irritable et en veut à la terre entière de l’avoir laissé commencer une thèse. Dans les périodes de crise le malade peut s’en prendre violemment à tout objet qui traîne sur son bureau et jeter l'intégralité de ses travaux à la poubelle. Dans la majorité des cas, il récupère l’ensemble dès le lendemain matin. Dans certains cas extrême, le malade peut renoncer à s’encombrer d’un conjoint, ce qu’il regrette immédiatement après sa soutenance de thèse.

- Le syndrome obsessionnel : le malade voit sa thèse partout et éprouve le sentiment, le plus souvent injustifié, que tout ce qu’il lit ou entend se rapporte à sa thèse. Dans les cas les plus extrêmes, le malade ne comprend pas que les autres personnes puissent s’intéresser à autre chose qu’à sa thèse.

- Le syndrome de la page blanche : le malade demeure prostré devant sa page désespérément blanche. Ce syndrome est sans gravité les premiers mois. Il commence à devenir inquiétant dans les cinq ans et alarmant dans les dix ans.

- Le syndrome d’infériorité : le malade a le sentiment qu’il est intellectuellement déficient et qu’il ne parviendra jamais à égaler l'entame du départ de la cheville de ses prédécesseurs. Ce syndrome se traduit généralement par une apathie marquée et par une volonté latente de mettre à mort le sujet de thèse, voire le malade lui-même. Le seul remède connu à ce jour : écrire, aller de l’avant et se dire que si la thèse n’est pas géniale, elle aura toujours le mérite d’exister.

- Le syndrome de supériorité : le malade a le sentiment qu’il est en train d’écrire LA thèse du siècle. Pathologie grave et très douloureuse notamment lorsqu’il réalise que seule une dizaine de personnes (famille et amis compris) liront son travail au final. A noter cependant que dans de très rares cas, il a pu être observé que la thèse se révélait être la thèse du siècle.

- Le syndrome d’insouciance : le malade se promène en permanence dans les couloirs des universités et des bibliothèques universitaires et ne s’assoit que très rarement un stylo à la main. Pathologie grave dès le début de la thèse et alarmante après cinq ans. Seul remède connu à ce jour : le coup de pied aux fesses.

- Le syndrome du temps perdu : dans une première phase, le malade passe plus de temps à pleurer sur le temps qu’il pense avoir perdu qu’à travailler. Dans une seconde phase, le malade passe plus de temps à pleurer sur le temps qu’il a perdu à pleurer qu’à travailler. Seul remède connu à ce jour : sécher ses larmes, ne plus penser à autre chose qu’à l’écriture et se rappeler qu’une thèse peut matériellement se rédiger en quatre mois.

Une fois les syndromes dépassés, la thèse finie par être rédigée. Mais au sein même du texte s’installent encore un certain nombre de pathologies, partagées d’ailleurs par de nombreux chercheurs “confirmés”, consistant à utiliser quelques expressions qu’il faut bien savoir déchiffrer pour en comprendre toute la saveur. Voici quelques unes de ces expressions et leur décodage :
- "Il est connu depuis longtemps..." = Je n’ai pas trouvé la référence d’origine
- "Une tendance nette semble se dégager…" = Ces données sont quasiment dénuées de sens
- "Bien qu’il n’ait pas été possible de fournir des réponses définitives à ces questions…" = Mes hypothèses ne sont pas validées, mais j’ai encore bon espoir d’en tirer quelque chose
- "Trois des échantillons ont été choisis pour une étude détaillée…" = Les autres résultats n’ont aucun sens
- "Les résultats les plus typiques sont présentés ici..." = C’est le plus beau graphique que j’ai pu faire
- "Il est estimé que…" = Je pense que…
- "Il est généralement admis que…" = Deux autres personnes le pensent aussi
- "Cette interprétation semble relativement correcte" = Tout est absolument faux
- "Selon l’analyse statistique..." = Selon la rumeur
- "Une analyse plus attentive des données obtenues permettrait sans doute de…" = Trois pages de notes ont été effacées lorsque j’ai renversé un verre de bière
- "Il est clair que des études complémentaires seront nécessaires avant de bien comprendre ce phénomène" = Je ne comprends rien
- "Tous mes remerciements à Pierre Durand pour son assistance technique et à Paulette Robert pour sa discussion des données" = M. Durand a fait le travail et Mme Robert m’a expliqué ce qu’il signifiait
- "Nous espérons que ces résultats stimuleront d’autres travaux dans ce domaine" = Ce texte n’est pas très bon, mais pas plus que les autres sur ce sujet misérable

mardi 20 octobre 2009

Torture

Le site mediapart (http://www.mediapart.fr/) propose en visionnage libre en ligne jusqu'au 19 décembre un documentaire assez complet de 85 minutes sur l'institutionnalisation de la torture sous la présidence Bush. Ou comment mettre en oeuvre toutes les conditions hiérarchiques pour qu'apparaisse un "effet Milgram" qui trouve son paroxysme dans la prison d'Abou Ghraïb en 2003-2004 (bien que cet effet n'ait besoin d'autant pour apparaître...).

dimanche 11 octobre 2009

Son House

Son House est né en 1902 à Riverton (Mississippi) et mort en 1988 à Detroit (Mississippi). Grande figure du Delta-Blues.
Une voix, une âme : quoi de plus ?


Son House, Grinnin'in your face. Album Son House at home : the complete 1969.

dimanche 4 octobre 2009

DuPhly

Etrange destin que celui de Jacques Duphly (ou du Phly, 1715-1789), compositeur, organiste et claveciniste français.
Originaire d'Evreux, il s'installe à Paris et y vit en tant que professeur et artiste indépendant fréquentant les élégants salons parisiens où il acquiert une grande réputation.
Son œuvre comprend quatre livres de pièces parus de 1744 à 1768.
Après 1768, on sait qu'il continue à enseigner au moins jusqu'en 1783, puis il disparaît dans un anonymat complet. On le cherche : le Journal Général de la France publie en 1788 un avis dans lequel On désire savoir ce qu'est devenu Monsieur du Phly, ancien maître de clavecin à Paris, où il était en 1767. S'il n'existe plus, on désirerait connaître les héritiers auxquels on a quelque chose à communiquer. Peut-être a-t-il abandonné toute activité musicale (il n'y a curieusement aucun instrument de musique dans l'inventaire de ses biens après décès) ?
Jamais marié, il lègue une part notable de ses biens à celui qui a été son domestique pendant trente ans.
Voici La Pothouïn, extraite du 4ème livre de pièces pour clavecin. Elle ici adaptée pour le piano et interprétée avec une rare grâce par le grand Alexandre Tharaud. Un nuage...



Jacques Duphly, La Pothouïn. Interprète : Alexandre Tharaud, Album Tic, Toc, Choc (2007)

Le devin plombier

Si d'aventure vous avez raté un cours de psychologie clinique, voici une petite séance de rattrapage...


dimanche 20 septembre 2009

Goran

On ne présente plus Goran Bregovic, né en 1950 à Sarajevo de mère Serbe et de père Croate. Depuis 1980, il a largement contribué à diffuser la musique des Balkans en Europe de l'Ouest au travers plus de huit albums originaux et autant de bandes originales de musique de films dans lesquels il mélange musique traditionnelle balkanique, rock, musique classique, reggae, ska, tango, musique électronique... Bref, la fusion sensible et percutante des hétérogènes.


Goran Bregovic, Zamisli. Album Alkohol-Sljivovica & Champagne, 2009.

mercredi 16 septembre 2009

Psychosocial !

J'aurais vraiment imaginé autre chose comme hymne musical à la psychologie sociale que cette hystérie bramante d'une troupe de décérébrés spasmodiques nous éjaculant aux oreilles leurs giclées d'immondice anglomaniaques d'une conternante indigence. Mais à la réflexion, pourquoi n'inviterions-nous pas ces joyeux garçons irradiés d'une jovialité communicative à effectuer un concert d'ouverture lors d'un prochain congrès de psychologie sociale ? Ça nous changerait. Bramez tous avec moi : "Psychosocial ! Psychosocial !"

Slipknot, Psychosocial

dimanche 13 septembre 2009

Sharpening bone

Piers Faccini est un auteur-compositeur-interprète, peintre et photographe anglais. Né de père italien et de mère anglaise, il emménage en France à l'âge de cinq ans et réside actuellement dans les Cévennes. Les trois albums sortis sous son nom sont pour moi des petits bijoux de simplicité et de finesse. Voici un extrait du deuxième, sorti en 2006.


Piers Faccini, Sharpening bone. Album Tearing sky, 2006.

jeudi 10 septembre 2009

Test d'aptitude

A tous ceux et celles qui envisagent de mettre un jour au monde un petit d'homme (il y en a encore, paraît-il), passez d'abord ces quelques tests simples destinés à évaluer vos capacités.

Test du désordre
Etalez du beurre sur le canapé et les rideaux avec les mains. Maintenant, essuyez-vous les mains dans les draps de votre lit et sur les murs. Recouvrez toutes les taches avec du crayon de couleur ou du feutre indélébile. Pensez aussi à placer un bâtonnet de poisson surgelé derrière le canapé et laissez-le tout l'été.

Test des jouets
Procurez-vous plusieurs boîtes de Lego. Demandez à un ami de les répandre dans toute la maison. Mettez-vous un bandeau sur les yeux. Marchez jusqu'à la salle de bains ou la cuisine sans jamais crier (cela pourrait réveiller l'enfant ultérieur).

Test de l'habillage
Procurez-vous une grande pieuvre vivante. Fourrez-la dans un petit sac en vous assurant que tous les tentacules restent bien à l'intérieur.

Test de l'alimentation
Prenez une grande bouteille vide. Remplissez-la à moitié d'eau et suspendez-la au plafond avec une corde. Faites-la se balancer. Essayez maintenant d'insérer des cuillerées de céréales détrempées dans l'orifice de la bouteille tout en faisant semblant d'être un avion. Ensuite, videz le contenu de la bouteille sur le sol.

Test de la nuit
Prenez un petit sac en tissu et remplissez-le avec 1 ou 2 kilos de sable. Trempez-le soigneusement dans l'eau. À 20h, commencer à valser et à fredonner avec le sac sur un bras jusqu'à 21h. Déposez votre sac et mettez votre réveil à 23h. Levez-vous, reprenez votre sac, et chantez plein de chansons que vous n'avez jamais entendues. Chantez-les jusqu'à 4h du matin. Recouchez-vous et mettez votre réveil à 5h30. Levez-vous et faites le petit déjeuner. Recommencez cet exercice pendant cinq ans.
Important : ayez l'air joyeux.

Test physique (pour femme)
Procurez-vous un grand sac rempli de fèves et fixez-le sur votre ventre. Laissez-le en place pendant 9 mois. Enlevez alors 10% des fèves.

Test physique (pour homme)
Allez dans votre pharmacie habituelle. Posez votre portefeuille sur le comptoir et demander au pharmacien de se servir lui-même (pensez à garder deux euros). Allez ensuite dans le magasin d'alimentation le plus proche. Demandez à la direction que votre paye soit directement versée sur le compte du magasin. Avec vos deux euros, achetez ensuite un journal. Rentrez chez vous et lisez-le tranquillement pour la dernière fois.

Test des réponses aux questions
Trouvez des amis qui ont déjà un petit enfant. Donnez-leur des leçons sur comment améliorer leur discipline, leur patience, leur tolérance, leur manière d'apprendre la propreté et les comportements à table de leur enfant. Suggérez-leur beaucoup de voies possibles d'amélioration. Soulignez aussi fortement qu'ils ne devraient jamais permettre à leur enfant de se déchaîner comme il le fait.
Profitez pleinement de cette expérience. Ce sera la dernière fois que vous aurez les réponses.

mardi 8 septembre 2009

Mots et figurations

Le tronçon de texte suivant a été co-rédigé avec M.L. Rouquette. Il avait pour fonction de servir d'avant-propos à un ouvrage consacré aux représentations sociales. Il n'a finalement pas été retenu. Je l'ai retrouvé dans mes archives et ai la présomption de le trouver suffisamment intéressant pour le dépoussiérer et lui donner une nouvelle vie sur ce blog.


Beaucoup d'entre nous se souviennent sans doute de ces gravures de Riou, de Benett ou de Neuville qui illustraient ponctuellement les romans de Jules Verne.
Toutes les dix pages ou à peu près, une scène prenait forme, qui n'était pas forcément celle qu'on eût le plus attendue. La densité du trait la rendait en général brumeuse, évoquant la fumée des chandelles finissantes ou les profondeurs troubles de la suie. Une brève légende, prise dans le texte, accompagnait le tableau, lui servant d'argument : "Adieu, soleil !" s'écria-t-il ; Il s'approcha et lut ; Et que virent-ils ? ; Tel était l'asile offert à la petite troupe.
D'être mises en exergue, ces petites phrases prenaient tout à coup une valeur qui pouvait sembler souvent frelatée. Le relatif arbitraire de leur choix, d'abord, mais aussi leur caractère suspensif, puisque l'épisode même dont elles étaient tirées les débordait en amont comme en aval, donnaient à leurs mots un privilège baroque, celui des formules magiques, si désespérément banales ("Sésame, ouvre-toi" !) ou comiquement absurdes ("Abracadabra" !), mais qui livrent à ceux qui peuvent les connaître un monde de prodiges et de merveilles.
Comme celles de Gustave Doré accompagnant Dante ou Rabelais, ces gravures montraient surtout la contingence, puis l'emprise, de la représentation : aucun d'entre nous sans doute n'aurait imaginé ainsi la tête du capitaine Nemo ou l'obus filant vers la lune, la trogne de Gargantua, les cercles de l'Enfer. Ensuite, il ne pouvait les imaginer autrement. De la même façon qu’il est très difficile de se débarrasser du visage d’une héroïne ou d’un héros d’une adaptation cinématographique d’un livre que l’on aborde ensuite.
Il y avait là, et il y a toujours, une leçon simple que l'on oublie parfois d'appliquer à des expériences réputées plus sérieuses. La simple dénomination, déjà, passe pour une garantie d'existence : si ce qui n'a pas de nom partagé n'existe pas, on admet sans y réfléchir que ce qui a un nom sur lequel on s'entend à peu près existe de ce fait. D'une manière plus concrète, le dessin figuratif, puis la photographie, nous ont donné de mauvaises habitudes métaphysiques en tendant à nous faire croire que l'objet de la représentation existait indépendamment de celle-ci, antérieurement à elle. Il est vrai que les architectes et les ingénieurs, depuis toujours, procèdent autrement ; ils font même exactement l'inverse, puisqu'ils tracent d'abord sur le papier ce qui ne recevra de réalisation qu'ensuite, parfois très longtemps après (voyez par exemple Léonard de Vinci et son projet de machine volante) : ils représentent donc la chose avant que celle-ci existe.
Mais ce cas particulier ne fait pas objection dans la mesure où architectes et ingénieurs déploient justement leur activité dans l'artifice, dans l'anti-nature si l'on veut, puisque leur intention finale est toujours d'aménager le monde brut, quitte au besoin à ruser avec lui. Les conditions mêmes dans lesquelles s'exerce leur art ne font donc que renforcer ce que l'on tient d'ordinaire pour acquis lorsqu'il s'agit de la nature, et inclusivement de la société. Dans ce registre, le plus quotidien, le plus répandu, il est admis pour évident que le processus de figuration se développe en deux temps : on poserait d'abord la chose (qui serait de toute façon déjà posée pour tout regard possible) et on aurait seulement ensuite la représentation imagée de la chose, la vérité étant l'apanage de la première, la contingence marquant la seconde (et cette contingence permettant de comprendre au passage qu'il y ait des grands peintres et des barbouilleurs, des styles et des "écoles"). Tout va bien ainsi, peut-être, quand il s'agit d'un portrait, d'une nature morte ou d'une académie : on peut alors saisir par comparaison les déformations, les oublis, les excès et, finalement, les erreurs (certains diraient, plus positivement, les choix de l'artiste, ce qui revient au même, car la vérité, par définition, ne se choisit pas.) Il y a le cheval du derby et le cheval sur la toile, qui ne court pas comme il faudrait, le dos de chair de la fille qui pose et le dos peint de la baigneuse où se remarque un supplément de vertèbres.
Mais quelle est la vérité de la physionomie du capitaine Nemo ou de celle d’Emma Bovary ? La vérité de Sam Spade sans Bogart dans Le faucon maltais ou de l'Ange bleu sans Marlène Dietrich ? Mais Nemo, dira-t-on, ou Emma Bovary n'ont jamais existé, et le visage qui leur est donné circonstanciellement ne les fait pas exister davantage ; aucune recherche de preuve ne peut être entreprise, aucun consensus ne peut être engagé. Ce sont des "faux". Soit.
Venons-en alors tout de suite à un objet plus directement social, si évidemment social et si tellement pris au sérieux pendant deux ou trois siècles que son exemple seul devrait suffire – et il a d'ailleurs été abondamment étudié par les historiens : Quelle était donc la vérité des sorcières au temps de leurs procès ? Il n'y a pas eu les sorcières d'abord, et la représentation qu'on a pu se faire des sorcières ensuite ; c'est la représentation que l'on avait des sorcières et que l'on a progressivement perfectionnée qui a fait exister adéquatement celles-ci, jusqu'à l'épidémie.
L'instruction menée par les juges était confirmatoire. La réalité des aveux, et sans doute parfois des conduites, se conformait à la représentation, qui lui donnait seule sa vérité. Changez d'ailleurs de représentation (il suffit de changer d'époque ou, éventuellement, de groupe d'appartenance) et vous changerez de regard sur les sorcières, qui alors ne seront plus "les mêmes". Au lieu de voir en elles des suppôts du Démon et des agents dévoués du Mal, vous verrez avec non moins d'assurance de pauvres hystériques travaillées par la suggestion, les prêtresses survivantes d'anciens cultes païens ou même les proto-féministes d'un combat qui ne savait pas encore dire son nom.
Presque tous les objets de notre vie sociale connaissent le même destin. Leur étoffe dépend toujours de l'époque et du regard.

dimanche 6 septembre 2009

Cypress Grove

Chaque dimanche sera consacré à un interlude musical se faisant succéder les styles : Classique pour le premier, Jazz-Blues pour le second, Rock-Folk-Pop pour le troisième et, enfin, Musique d'ailleurs pour le quatrième. Les notes du dimanche dernier ont été classiques, je dépose donc aujourd'hui une page de blues tiré d'un album de Kelly Joe Phelps.
Kelly Joe Phelps est un bluesman blanc américain dans le plus pur style "Blues du Mississippi" et grand adepte de la "Slide Guitar". Dans ces trois premiers albums (neuf à ce jour) il s'accompagne seul à la guitare et mélange compositions personnelles et reprise de grands classiques du blues.
Il réarrange ici de belle manière un titre célèbre composé en 1931 par Skip James (Cypress Grove), précurseur majeur du blues du Mississippi et initiateur du courant dit de la "Bentonia School".


Kelly Joe Phelps, Cypress Grove. Album Roll away the stone, 1997.

vendredi 4 septembre 2009

Aux doctorants

En ce début de nouvelle année universitaire, une petite pensée pour tous les étudiants inscrits en thèse, beaucoup moins choyés que leurs cadets (et beaucoup plus angoissés). Pour les détendre, un lien vers le site de Jorge Cham (http://www.phdcomics.com/) qui publie depuis 1997 des "comics" très courts uniquement consacrés à la vie et à l'environnement quotidiens des thésards, au rythme moyen de trois planches par semaine (allez voir dans "les archives").
C'est concis, drôle et pertinent... En voici quelques aperçus (cliquez sur les images pour les agrandir) :


mercredi 2 septembre 2009

Abîme

"Le pire châtiment de l'époque où nous sommes et sa condamnation sans doute la plus grave, c'est qu'elle ait pu, en quelque cent cinquante ans, nous rendre à peu près inimaginable le monde où l'homme avait encore toute sa place, un monde où l'on naviguait à la voile, où l'on voyageait à cheval ou à pied, et des temps où la vie de chacun s'insérait dans "son" temps sans en rien perdre, alors que la mécanique nous expulse du nôtre. Certes, le modernisme a toujours existé ; mais un modernisme qui nous veut orphelins du passé et nous exile de l'humanité rien que pour exister dans sa seule étroitesse sans cesse dépassée, voilà qui n'a rien de moderne mais qui porte en réalité, le nom même de l'épouvante que les siècles redoutaient en l'appelant la bête de l'abîme".

Armel Guerne, Texte de présentation du recueil de poèmes de Novalis, Les disciples à Saïs, Hymnes à la nuit, Chants religieux. Poésie Gallimard, 1975.

lundi 31 août 2009

Double suicide


dimanche 30 août 2009

Un pensiero nemico di pace

Georges Frederic Haendel (1685-1759) compose Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Le triomphe du temps et de la désillusion) en 1707. Il a alors 22 ans. Le livret, écrit par le Cardinal Pamphili, met en scène la Beauté qui, flattée par le Plaisir, se mire à l'envi et se complaît dans la frivolité avec pour seul souci de ne pas être immarcescible. Le Temps et la Désillusion dénoncent le miroir aux alouettes que lui tend le Plaisir et l’invitent à plonger son regard dans celui de la Vérité.
Dans cet extrait, Un pensiero nemico di pace (une pensée hostile à la paix), la Beauté réfute l'univocité du temps. Il est ici chantée par Cécilia Bartoli. Ou comment toucher les étoiles...


Un pensiero nemico di pace
fece il Tempo volubile edace,
e con l'ali la falce gli diè.
Nacque un altro leggiadro pensiero,
per negare sì rigido impero,
ond'il Tempo più Tempo non è.

Une pensée hostile à la paix
A fait du Temps un glouton avide,
Et lui a donné la faux avec ses ailes.
Une nouvelle et douce pensée est née,
Pour contrarier un empire si inflexible,
Et par elle le Temps n'est plus le Temps.

G.F. Haendel, Il trionfo del Tempo e del Dinganno. Air de la Beauté : Un pensiero nemico di pace. Interprétée par Cécila Bartoli et Les musiciens du Louvre-Grenoble (Direction : Marc Minkowski). Album : Opera Proibita (Decca, 2005).

samedi 29 août 2009

dêmos et kràtos

Histoire de mots, toujours. Vous avez remarqué sans doute qu'il est devenu banal de parler "des démocraties" pour désigner, en gros, les pays occidentaux les plus riches. On évoque ainsi "les démocraties européennes", les "démocraties étrangères", "les démocraties face au terrorisme", "les démocraties après le 11 septembre 2001", etc. Raccourci de langage, me direz-vous, qui permet aux sociétés et aux Etats se désignant eux-mêmes comme des démocraties de se distinguer avantageusement des sociétés gouvernées sans loi ou par la loi religieuse. Le problème est toutefois qu'en s'inscrivant dans l'habitude, ce tic de langage conduit à deux illusions :
- La première est de considérer que le mot démocratie désigne alternativement une forme d'état, une forme de société ou une forme de gouvernement. Il semble alors nécessaire de rappeler que nous ne vivons pas "dans" des démocraties mais dans des Etats de droit oligarchiques, c'est-à-dire dans des Etats gouvernés par une minorité dominante dont le pouvoir est limité par la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles. Comme le rappelle Raymond Aron, "on ne peut pas concevoir de régime qui, dans un sens, ne soit pas oligarchique" [1]. De fait, nos "démocraties" sont en vérité des oligarchies dont les formes constitutionnelles et les pratiques des gouvernements peuvent être dits plus ou moins démocratiques.
- La seconde est de prendre l'existence d'un système représentatif soumis à l'autorité du suffrage universel comme un critère pertinent de démocratie. Or, ce système représentatif ne tend vers la démocratie que dans la mesure où il se rapproche du pouvoir de n'importe qui, c'est-à-dire du pouvoir de celui qui n'a aucun titre à exercer le pouvoir, ni même aucun désir de l'exercer (et démocratie veut d'abord dire cela pour ses promoteurs athéniens : un "gouvernement" anarchique fondé uniquement sur l'absence de tout titre à gouverner).

Autrement dit, ce "dans quoi" nous vivons ce sont davantage des oligarchies à système représentatif plus ou moins démocratiques. Pour que ces formes de gouvernement puissent être dites démocratiques, il faut en effet qu'elles respectent quelques règles. On peut raisonnablement considérer que le minimum acceptable est que ce système représentatif repose sur des mandats courts, non cumulables, non renouvelables ; qu'il y existe un monopole des représentants du peuple sur l'élaboration des lois ; qu'il y ait interdiction aux fonctionnaires de l'Etat d'être représentants du peuple ; que les campagnes électorales y soient réduites au minimum ; qu'il existe un contrôle stricte de l'ingérence des puissances économiques dans les processus électoraux.
De telles règles n'ont rien d'extravagant et, dans le passé, bien des penseurs et des législateurs, peu portés à l'amour inconsidéré du peuple, les ont examiné avec attention comme des moyens d'assurer l'équilibre des pouvoirs et d'éviter ce qui peut être considéré comme le pire des gouvernements : le gouvernement de ceux qui aiment le pouvoir et qui sont adroits à s'en emparer. Il suffit pourtant aujourd'hui d'énumérer ces règles pour provoquer l'hilarité générale. A juste raison. Car ce que nous appelons de nos jours "démocratie" est un fonctionnement étatique et gouvernemental exactement inverse : élus éternels cumulant ou alternant les fonctions municipales, régionales, législatives ou ministérielles ; gouvernements qui font eux-mêmes les lois ; représentants du peuple massivement issus d'une école d'administration ; hommes d'affaires investissant des sommes colossales dans la recherche d'un mandat électoral.
Toutefois, malgré cette inversion des règles, on sait quels sont les avantages de ces Etats s'auto-désignant comme "démocraties" dans lesquels nous vivons, ainsi que leurs limites :
- les élections y sont libres. Certes, mais elles y assurent pour l'essentiel la reproduction du même personnel dominant, sous des étiquettes interchangeables. Les urnes n'y sont généralement pas bourrées mais l'on peut s'en assurer sans risquer sa vie.
- L'administration n'est pas corrompue. Sauf dans des affaires de marchés publics où elle se confond avec les intérêts des groupes dominants.
- Les libertés des individus sont respectées. Oui, mais au prix de notables exceptions pour tout ce qui touche à la garde des frontières et à la sécurité du territoire.
- La presse est libre : qui veut fonder sans aide des puissances financières un journal ou une chaîne de télévision capables de toucher l'ensemble de la population éprouvera de très sérieuses difficultés mais il ne sera pas jeté en prison.
De ces constats, les esprits optimistes en déduiront que l'Etat oligarchique de droit réalise un heureux équilibre des contraires et qu'une "démocratie" est en somme une oligarchie qui donne assez d'espace à la démocratie pour alimenter sa passion.
Mais les esprits chagrins retourneront l'argument : le gouvernement paisible de l'oligarchie détourne les passions démocratiques vers les plaisirs privés et les rendent insensibles au bien commun. Voyez ce qui se passe en France, disent-ils. Nous avons une constitution admirablement faite pour que notre pays soit bien gouverné et heureux de l'être : le système dit "majoritaire" élimine les partis extrêmes et donne "aux partis de gouvernement" le moyen de gouverner en alternance. Il permet ainsi à la majorité, c'est-à-dire la plus forte minorité, de gouverner sans opposition pendant cinq ans. D'un côté, cette alternance satisfait le goût démocratique du changement ; de l'autre, comme les membres de ces partis de gouvernement ont fait les mêmes études dans les mêmes écoles d'où sortent aussi les experts en gestion de la chose publique, ils tendent à adopter les mêmes solutions qui font primer la science des experts sur les passions de la multitude. Mais cela a hélas un revers, poursuivent-ils : cette multitude, délivrée du souci de gouverner, est laissée à ses passions privées et égoïstes. Ou bien les individus qui la composent se désintéressent du bien public et s'abstiennent aux élections ; ou bien ils les abordent du seul point de vue de leurs intérêts et de leurs caprices de consommateurs Au nom de leurs intérêts immédiats, ils opposent grèves et manifestations aux mesures et aux réformes visant à préserver l'avenir et, au nom de leurs caprices individuels, ils choisissent aux élections tel ou tel candidat qui leur plaît, de la même manière qu'ils choisissent entre les multiples sortes de pain proposés par les boulangeries. Le résultat est que les "candidats de protestation" totalisent plus de voix que les "candidats de gouvernement".
On pourrait objecter bien des choses à ces esprits chagrins. D'abord qu'il n'est pas vrai que l'on assiste à une irrésistible progression de l'abstention. Il y aurait même plutôt lieu d'être surpris de l'admirable constance civique du nombre élevé d'électeurs qui persistent à se mobiliser pour choisir entre les représentants équivalents d'une oligarchie d'Etat. Ensuite, on peut espérer que la passion démocratique qui nuit si fortement aux "candidats de gouvernement" reflète moins le caprice de consommateurs que le désir que la politique signifie quelque chose de plus que le choix entre oligarques interchangeables.

Le vrai danger de ce mode de fonctionnement est ailleurs. Il réside dans le fait que l'autorité des gouvernants est prise entre deux systèmes de raison opposés : d'un côté elle est légitimée par la vertu du choix populaire et, de l'autre, par leur capacité à choisir des bonnes solutions aux problèmes de société. Or, ces bonnes solutions se reconnaissent à ceci qu'elles n'ont pas à être choisies parce qu'elles découlent de la connaissance de l'état objectif des choses, c'est-à-dire d'un savoir expert et non d'un choix populaire. Le principe du choix populaire devient dès lors très problématique car il y a péril à ce que soient soumises au peuple des solutions qui dépendent de la seule science des experts. Pour qu'une société soit gouvernable par l'expertise, il faut que la population concernée constitue une totalité une et objectivable, à l'opposé du peuple, par vocation creuset de divisions et d'hétérogénéité. L'oligarchie n'a alors plus qu'une seule ambition : chasser la division et imposer le consensus. Mais cela semble plus facile à rêver qu'à faire. La division chassée dans les principes revient concrètement de toute part : dans l'essor des partis extrêmes, des mouvements identitaires ou des intégrismes religieux qui en appellent, contre le consensus oligarchique, aux vieux principes de la naissance et de la filiation, à une communauté enracinée dans le sol, le sang et la religion des ancêtres ; dans les multitude de combats qui refusent la nécessité économique mondiale ; dans le fonctionnement électoral, même lorsque les solutions uniques qui s'imposent aux gouvernants sont soumises au choix des gouvernés. Le dernier référendum européen en est un exemple fameux. Dans l'esprit de ceux qui soumettaient la question à référendum, le vote devait s'entendre comme une approbation donnée par le peuple assemblé à ceux qui sont qualifiés pour le guider. Il le devait d'autant plus que l'élite des experts d'Etat était unanime à dire que la question ne se posait pas, qu'il ne s'agissait que de poursuivre la logique d'accords déjà existants et conformes aux intérêts de tous. Or, une majorité de votants a jugé que la question était une vraie question et qu'elle relevait non de l'adhésion de la population mais de la souveraineté du peuple. On sait la suite.
On sait aussi que, pour ce résultat au référendum comme pour tout trouble au consensus, les oligarques ont trouvé l'explication : si l'expertise scientifique n'arrive pas à imposer sa légitimité, c'est en raison de l'ignorance du peuple. Si le progrès ne progresse pas, c'est en raison des retardataires. Si les réformes présentées comme nécessaires ne passent pas, c'est en raison d'un vieux réflexe conservateur. Un mot résume cette explication : celui de "populisme". Sous ce terme est rangé toutes les formes de sécession au consensus dominant, qu'elles relèvent de l'affirmation démocratique ou des fanatismes raciaux ou religieux. Sous ce nom de populisme se cache ainsi toute la contradiction entre la légitimité populaire et la légitimité savante. Se cache aussi la compulsion la plus profonde et la plus naturelle de toute oligarchie : se débarrasser du peuple et de la politique. En se déclarant simples gestionnaires experts des retombées locales d'un impératif historique mondial in-é-luc-table, nos gouvernements s'appliquent à expulser le supplément démocratique. De même qu'en inventant des institutions supra-étatiques qui ne sont pas elles-mêmes des états et qui ne sont donc comptables devant aucun peuple, ils réalisent la fin immanente à leur pratique même : dépolitiser les affaires politiques, les placer en des lieux qui soient des non-lieux et qui ne laissent pas d'espace à l'invention démocratique de lieux polémiques.

La démocratie n'est pas ni cette forme de gouvernement qui permet à l'oligarchie de régner au nom du peuple pour mieux pouvoir s'en débarrasser, ni cette forme de société fallacieusement soumise à la soi-disant inexorabilité de la marchandise mondiale. Elle est l'action qui sans cesse arrache aux gouvernements oligarchiques le monopole de la vie publique. Elle est la puissance qui doit aujourd'hui, plus que jamais, se battre contre la confusion des pouvoirs en une seule et même loi de domination. La démocratie est et doit toujours rester nue dans son rapport au pouvoir. Elle n'est fondée sur aucune nature des choses et n'est garantie par aucune forme institutionnelle. Elle n'est portée par aucune nécessité historique et n'en porte aucune. Elle n'est confiée qu'à la constance de ses propres actes. On comprend que la chose a de quoi susciter de la peur chez ceux qui sont habitués à exercer le magistère du bien public...

[1] R. Aron (1965). Démocratie et totalitarisme. Gallimard Idées, p. 134.

Billet inspiré par le livre de Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Editions La fabrique, 2005.

mercredi 26 août 2009

Futbol : Allemagne-Grèce

J'ai retrouvé cette séquence vidéo dans mes archives. Je n'y résiste pas. D'autant que malgré mon profond respect pour certains philosophes allemands, ce sont bien les grecs les meilleurs : la preuve !


dimanche 23 août 2009

Quelques conseils managériaux aux enseignants-chercheurs...

En cette période de pré-rentrée universitaire, un petit rappel s'impose à tous ceux qui n'auront pas eu le courage d'écrire 6 ou 7 articles cet été...
Dans la nouvelle culture de l’évaluation académique, introduite en Europe par le processus de Bologne et stimulée par la prolifération des classements universitaires mondiaux, vous devez maximiser votre valeur académique. Pour cela, les règles sont simples et efficaces. Encore faut-il les connaître. En voici quelques unes des plus importantes...

Règle 1 : Cultivez votre "H index"
Dans le régime de concurrence généralisée de la recherche dans lequel nous sommes entrés, la notion de productivité académique intervient à tous les niveaux pour orienter l’allocation des ressources, depuis l’Université prise dans son ensemble jusqu’à chaque enseignant-chercheur pris individuellement, en passant par les départements, les maquettes et les équipes de recherche.
Il existe tout un éventail de critères possibles pour mesurer de votre productivité académique, dont celui du taux de satisfaction de vos étudiants - entre autres paramètres possibles. Mais dans l’immédiat, le principal indicateur qui doit vous préoccuper est celui de l’évaluation quantitative de vos travaux de publication.
Vous l’ignorez encore peut-être, mais vous avez un nouveau totem : le "facteur H" ou "H index" en anglais. Sous cette appellation énigmatique se cache un indicateur statistique, une formule mathématique destinée à mesurer votre valeur académique. "H" pour "Hirsch", du nom du physicien Jorge E. Hirsch qui a élaboré cet instrument statistique en 2005. Cet indicateur se calcule à partir de vos données bibliométriques. Aujourd’hui, n’importe qui peut très facilement, en quelques clics, connaître le facteur H de n’importe quel chercheur dans le monde – le vôtre y compris. Cet indicateur combine deux types de variables : le nombre d’articles que vous avez publiés dans votre vie (ou plus exactement le nombre d’articles recensés par les bases de données électroniques disponibles) et le nombre de fois que vos articles ont été cités par d’autres (encore une fois dans les articles recensés par les bases de données électroniques disponibles).
Cet indice est censé mesurer votre valeur académique par "l’impact citationnel" de vos travaux. Le principe est en gros le même que celui du "pagerank" sur google (le pagerank sur google est l’ordre de priorité selon lequel s’affichent les résultats d’une recherche) : plus vous avez de liens pointant vers votre nom (i.e. de citations), plus on estime que vous avez de poids et plus vous montez dans le classement. Cette notion d’impact bibliométrique - nous y reviendrons - est en train de devenir l’alpha et l’omega de l’évaluation académique.
Si cet indicateur est aujourd’hui devenu monnaie courante, du moins en Amérique du Nord et en Chine, c’est parce que les bases de données bibliométriques commerciales l’ont intégré à leurs plateformes en ligne. La plus importante d’entre elles, l’ISI Web of science de Thomson-Reuters™ se fait fort de d’établir, pour n’importe quel chercheur dans le monde, des "rapports citationnels" personnalisé mesurant régulièrement leurs performances. Ces "citation reports" se présentent comme une sorte d’audit individuel, avec graphes et statistiques.
L’instrument est puissant et joue surtout sur vos cordes sensibles : un goût invétéré pour les bons points et les bonnes notes, une bonne dose de narcissisme, une pincée d’esprit de compétition, et le tour est joué.
Aujourd’hui, l’usage du facteur H a littéralement envahi les campus américains, où tout enseignant-chercheur qui se respecte connaît par cœur son H index ainsi que celui de ses collègues. Notez bien que cette fièvre de l’évaluation personnelle n’a pas tant été stimulée par l’administration des Universités que par les enseignants-chercheurs eux-mêmes, dans une sorte d’appropriation spontanée. Le mouvement vient de la base. C’est vous-mêmes, en vous emparant de l’instrument, qui avez le pouvoir d’en faire une norme d’évaluation partagée, intégrée à votre culture, qui vous sera ensuite d’autant plus facilement appliquée à des fins managériales. Le facteur H est entre vos mains. À vous de le propager afin d’en faire l’étalon de votre vérité.
A compter d’aujourd’hui, votre seule et unique priorité sera donc d’accroître votre facteur H, by any means necessary. D’abord parce que, par les temps qui courent, avec un facteur H bas, vous pourriez très vite vous retrouver à enseigner plus que de raison. Ensuite parce que le facteur H est en train de devenir l’indice objectif de votre valeur sur le marché universitaire. Dans un avenir pas si lointain, c’est peut-être aussi sur cette base que vous négocierez votre salaire avec votre administration.
Dorénavant, vous vous tiendrez donc informé en temps réel de l’évolution comparée de votre facteur H et de celui de vos collègues et néanmoins amis - et vous réagirez en conséquence. Par manque de vigilance, vous risqueriez un beau matin de vous retrouver avec un emploi du temps saturé de TD de L1 alors que vos confrères enchaîneront cocktail sur cocktail dans des colloques internationaux. Inversement, si un collègue moins bien coté vous cherche des noises, rappelez-lui publiquement son facteur H. Cela lui rabattra son caquet.
La plupart des index et classements bibliométriques existants ont été critiqués pour leur manque de scientificité. Mais cela ne doit pas vous empêcher d’y faire référence. Tout ce qui compte ici, un peu comme pour les prophéties auto-réalisatrices et les phénomènes d’emballements boursiers, ce n’est pas que la croyance soit vraie, mais qu’elle produise de la réalité. Oubliez la vérité. Cessez de vouloir changer la réalité.

Règle 2 : grimpez dans le classement ATP des chercheurs
Vous devez désormais vous penser comme un tennisman. Chaque communication, chaque article est un match, chaque paragraphe est un set. Votre objectif : battre vos concurrents et grimper dans le classement ATP de votre discipline. Le ranking, la logique du classement est partout. Apprenez que la recherche est un sport de compétition. Pour mieux vous habituer mentalement à ce nouvel univers, méditez sur le classement mondial des chercheurs en legal studies, sur le ranking des chercheurs afro-américains en SHS ou sur le classement mondial des chercheurs en philosophie du droit, que vous trouverez facilement sur internet.
Soyez ambitieux, visez le top five. Évidemment, à chacun de vos succès, rendez publique votre nouveau statut de chercheur "de classe mondiale", intégrez votre ranking à votre CV, faites figurer votre photo et votre rang de classement sur la page web de votre département comme le font déjà la majorité de vos collègues américains. Vous allez faire des jaloux.
Souvenez-vous aussi que les rankings individuels s’agrègent pour former le ranking de votre département ou de votre équipe de recherche. Débusquez alors parmi vos collègues ceux qui font dangereusement baisser le ranking de votre petite PME. C’est essentiel car, vous l’avez bien compris, vos financements vont dépendre du rang de vos différents programmes dans le grand palmarès des Universités, des départements, des formations et des diplômes.

Règle 3 : investissez dans des activités académiquement rentables
Dans votre vie quotidienne, cette nouvelle finalité implique que vous rationalisiez encore davantage votre gestion du temps, dans l’objectif de maximiser vos activités académiquement rentables. Souvenez-vous de la loi de Pareto : 80% de la valeur de ce que vous faites provient seulement de 20% de votre activité. Cela fait une sacrée marge. Pour optimiser ce ratio, coupez dans vos activités professionnelles improductives. Dégraissez votre propre mammouth.
Ne commettez surtout pas l’erreur de vous investir dans les tâches d’enseignement, cela ne vous rapporterait rien. Pire, en réduisant par là votre temps de publication disponible, vous mettriez votre évaluation en péril. Cela veut dire que la préparation de vos cours ne figure en aucun cas parmi vos priorités. De vieux polycops et des effets de manches feront l’affaire - ceci agrémenté d’une bonne dose de démagogie, au cas où vos étudiants seraient appelés à vous évaluer.
Ne vous laissez pas non plus cannibaliser par ces autres activités improductives que sont les tâches administratives et le travail de gestion pédagogique.
Avec cette méthode, ainsi qu’avec d’autres techniques de maximisation des performances que vous trouverez détaillées par exemple sur le site http://www.academicproductivity.com/. Vous arriverez sans peine à dégager de longues plages de temps académiquement productif.
Mais ne vous y méprenez pas, cela ne signifie pas non plus que vous deviez vraiment faire de la recherche. Là aussi, les choses ont changé.

Règle 4 : ne faites pas de la recherche, écrivez des papiers
Vous devez laisser tomber cette autre illusion. Dans l’univers académique 2.0, vous l’avez compris, votre but number one est de publier. Mais pas de faire de la recherche. La nuance est de taille et il est essentiel pour vous de bien la saisir, faute de quoi vous risquez fort de rester sur le carreau.
Comme le montre bien Luis Von Ahn, la conjonction de l’explosion mondiale du nombre de chercheurs et de l’impératif productiviste du "publish or perish" produit de fait une "masse proprement délirante d’articles écrits chaque année, dont l’écrasante majorité n’apporte pas grand-chose (voire rien du tout) à notre savoir collectif. Ce n’est, en fin de compte, rien d’autre que du spam." [1]
En ce qui vous concerne, peu vous importent les effets que ces pratiques peuvent avoir à une échelle "macro" sur l’état de la recherche ou sur le sens même de l’activité de chercheur. Surproduction, redondance infinie et saturation universelle d’articles totalement dispensables sont autant d’effets de masse qui n’entrent pas en ligne de compte dans les eaux froides de vos calculs égoïstes. Votre seule et unique préoccupation est de tirer votre épingle du jeu. Pour cela, vous devez apprendre les ficelles de votre nouveau métier et devenir un redoutable spammeur académique.

Règle 5 : n’écrivez pas de livres, tronçonnez
Pour vos publications, oubliez les monographies - dans notre nouveau régime de production du savoir, ça vaut peanuts. Si vous êtes chercheur en sciences humaines et sociales surtout, renoncez à écrire des livres. À quoi bon, puisqu’ils ne seront pas directement recensés par les bases de données bibliométriques ? C’est bien simple : aujourd’hui, leur monnaie n’a plus cours. Non seulement écrire des livres est largement inutile, mais, pire, cela fait dangereusement baisser votre productivité académique. Un ouvrage, c’est au minimum 300 pages – réfléchissez : cela fait l’équivalent de combien d’articles potentiels ainsi sacrifiés en pure perte ? Quel sens y aurait-il à s’enfermer dans un travail d’aussi longue haleine pour de si maigres résultats ?
Faites le deuil de vos émois de jeunesse, de votre admiration adolescente pour les grands livres. Nous ne sommes plus au temps des Barthes, Deleuze, Foucault ou Derrida. Aujourd’hui, de toute façon, toutes choses égales par ailleurs, ils ne pèseraient rien, leur poids bibliométrique ayant été en leur temps, comparé au vôtre aujourd’hui, proche du degré zéro : pensez, jusqu’à un âge avancé, pas un seul article publié dans des revues répertoriées par ISI web of science™. Des nains académiques, des nabots du H-index.

Règle 6 : identifiez le "facteur d’impact" de vos publications potentielles
Il ne suffit pas d’écrire, encore faut-il être publié, et bien publié. Votre but est de décrocher le plus de publications possibles dans des revues internationales à fort impact bibliométrique. C’est le sésame de toute votre carrière. Pour cela, il faut commencer par ne pas vous tromper d’adresse.
N’allez surtout pas envoyer inconsidérément un article à une revue au prétexte stupide que vous l’estimez intellectuellement. Ce genre de considération n’a plus aucune espèce de pertinence. La première chose que vous avez à faire est d’identifier les revues les mieux cotées sur le marché académique de votre discipline. Pour cela, consultez les classements de revues. Pas la liste de l’AERES, classée en A, B, B’, C, émouvante par son amateurisme franchouillard, mais des listes dûment certifiées par les experts en "impact factor" de chez ISI Thomson Reuters™. Cette firme publie un ranking annuel "scientifiquement" établi des revues en fonction du nombre de citations desdites revues dans d’autres revues (c’est évidemment un serpent qui se mord la queue, mais, vous l’avez compris, on en est plus à ça près). Avant même d’ouvrir votre traitement de texte, consultez donc la dernière édition du "Journal Citation Report®" et repérez dans votre discipline quelles sont les revues à plus haut facteur d’impact. Ce sont vos cibles principales. C’est par elles que vous commencerez votre campagne de soumission d’article.
Cette étape est capitale car le profit citationnel que vous retirerez de votre article dépendra très largement de la visibilité de la revue dans laquelle vous le publiez.

Règle 7 : pensez servile, vendez-vous
Dès que vous cliquez sur la touche ENTER de votre ordinateur pour envoyer votre article en document attaché par email au comité de lecture, vous entrez dans un autre jeu, le "publication game", avec ses codes et ses étapes bien spécifiques.
Avec un peu de chance, environ un an après votre première soumission, un email de la rédaction vous parvient, vous demandant de resoumettre votre papier en intégrant les demandes des referees. Ayez bien conscience qu’il s’agit là d’une offre que vous ne pouvez pas refuser, même et surtout si les remarques ne sont pas seulement marginales mais exigent une modification substantielle de vos thèses.
À ce stade, votre seule chance de publication est de vous soumettre servilement à toutes les demandes de tous les referees (vous n’êtes pas en effet sans savoir que chacun d’entre eux dispose d’un droit de veto sur votre texte). Ignorez les remarques vexantes de referees drapés dans leur anonymat, vous vous vengerez sur d’autres plus tard, lorsque vous serez à votre tour membre du board. Pour l’heure, mettez votre fierté et vos convictions au placard et, au besoin, changez complètement votre thèse, votre plan et vos conclusions. Vous n’avez pas de scrupules à avoir. Faute de suivre cette voie, vous risqueriez de devenir un "non publiant". Votre pire cauchemar.
Souvent donc, entre vos idées et votre réussite académique, il vous faudra choisir. De façon plus générale, cela va sans dire, fuyez les sujets authentiquement polémiques et les prises de position tranchées. Évitez aussi les sujets trop novateurs ou trop atypiques : ils sont risqués. Ne critiquez jamais un auteur ayant du pouvoir institutionnel dans votre champ. Réservez vos critiques aux outsiders.
Dans votre phase de rédaction, votre but n’est pas la créativité, mais la conformité aux attentes des referees. Renseignez-vous sur leurs centres d’intérêt et sur leur positionnement intellectuel. Dans votre tête, devancez toutes leurs critiques potentielles, pliez-vous à toutes leurs exigences avant même qu’elles aient été exprimées. Faites allégeance. Citez impérativement les membres du comité de lecture dans votre article, en soulignant toute l’importance de leurs travaux décisifs. Citez aussi le plus possible d’articles publiés dans la revue en question : l’éditeur sera sensible à vos efforts visant à gonfler l’impact citationnel de sa revue, son JIF (Journal Impact factor). Vous devez apprendre à vous vendre.
Si vous ne suivez pas ces règles élémentaires, vous vous trouverez devant une alternative moralement coûteuse et éminemment chronophage : accepter des révisions substantielles ou voir votre article refusé. Dans ce second cas de figure, vous aurez perdu un temps très précieux. Devenez donc votre propre évaluateur et scalpez en amont tout ce qui dépasse.
Une fois publié, vous n’êtes cependant qu’à la moitié du chemin. En effet, en l’état, votre article ne vaut encore rien ou pas grand-chose sur le marché de l’évaluation. Comme nous l’avons vu, dans le grand casino de l’évaluation bibliométrique, ce n’est pas le nombre d’articles publiés qui compte per se, mais le nombre de fois que chacun de vos articles aura été cité.

Règle 8 : renforcez votre capital citationnel
Dans votre malheur, vous avez de la chance : en effet, les évaluations bibliométriques fondées sur le nombre de citations ne mesurent pas la qualité de votre recherche. Encore une fois, laissez tomber cette vieille lune. En réalité, la seule chose qui compte est votre visibilité citationnelle, le buzz que vous réussissez à produire. Dans cette nouvelle économie, le seul objectif est de faire parler de vous, et ce, à la limite, indépendamment du contenu de ce que vous faites.
Les index de citation ne disposent en effet d’aucun instrument capable d’apprécier le sens d’une citation : qu’elle soit laudative, purement tactique, fortement polémique ou franchement disqualifiante, elle a toujours, en fin de compte, la même valeur. L’analyse citationnelle est une taupe, quasi aveugle, ne répondant qu’à un seul stimulus : le nombre d’occurrences d’un nom et d’un titre.
Pour augmenter votre capital citationnel, vous disposez d’une série de techniques simples, la plupart répertoriées par le chercheur suisse Fridemann Mattern [2] :
• Pratiquez l’autocitation, mais avec modération, car le "citation index" repère les pratiques d’autocitation outrancières.
• Plus payant : citez vos collègues et amis. Ils vous le rendront au centuple. Pensez vos citations comme autant de "pokes" sur facebook.
• N’oubliez pas que vos doctorants sont votre clientèle captive : veillez à ce qu’ils vous citent plusieurs fois dans chacun de leurs articles. Pensez-les comme une écurie, une machine travaillant à étoffer votre poids citationnel.
• Usez et abusez de la pratique de la signature collective. Appropriez-vous les travaux de vos doctorants en mettant systématiquement votre nom sur leurs articles.
• Étendez ce procédé : si vous dirigez une équipe de recherche, pratiquez le "gift authorship" en offrant à des membres choisis de votre labo la possibilité de cosigner gratuitement un article auquel ils n’ont pas contribué. Votre générosité sera, là encore, amplement récompensée.
• Jouez la quantité plutôt que la qualité : écrivez le plus d’articles possibles.
• Ne vous reposez jamais sur vos lauriers : votre évaluation bibliométrique est mise à jour en permanence, votre place n’est jamais acquise.
• Trouvez des titres accrocheurs : cela plaira et vos articles seront davantage cités.
• Écrivez des articles de synthèse plutôt que des résultats de recherches innovantes. Les statistiques montrent qu’en contexte d’inflation bibliographique, les articles de "survey" sur la littérature existante sont davantage cités que les productions originales.
• Devenez un "troller" académique. Le "troll", vous le savez, est ce procédé bien connu sur les listes de discussion consistant à provoquer les autres membres de la communauté afin de susciter une avalanche de réactions. Cette tactique, très payante lorsqu’elle est bien maîtrisée, est un art. Prenez habilement le contre-pied d’une thèse en vogue, et le tour est joué : le tombereau de réponses qui s’ensuivra vous apportera plus que votre lot suffisant de citations. Devenez donc un troller et multipliez les paradoxes rhétoriques: vous allez faire un malheur.
De façon plus générale, débarrassez-vous de cette idée farfelue que la recherche académique puisse être destinée à éclairer vos concitoyens ou à intervenir de manière critique dans le débat public. Seule vous importe votre fréquence de citation par des chercheurs internationaux de votre micro-sous-champ-sous-disciplinaire. L’extérieur n’existe pas, seule compte votre place dans l’espace académique. Ignorez le monde et enfermez-vous dans votre tour d’ivoire électronique.

Au final, plutôt que de refuser le nouvel ordre des choses en niant l’évidence de votre médiocrité académique – si justement rappelée par notre Président de la République [3] - vous devriez plutôt vous activer un peu et vous préoccuper sérieusement d’augmenter votre facteur H. Vous n’avez plus d’excuses car vous ne pourrez plus dire que vous ne connaissiez pas les règles de notre nouveau jeu.
_________________
[1] http://vonahn.blogspot.com/2009/02/academic-publications-20.html
[2]
www.informatics-europe.org/ECSS08/papers/mattern.pdf
[3]
http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&cat_id=7&press_id=2259&lang=fr

Ce billet est une version remanié et abrégée d'un article rédigé par G. Chamayou dans la revue Contretemps : http://contretemps.eu/interventions/petits-conseils-enseignants-chercheurs-qui-voudront-reussir-leur-evaluation