mardi 19 avril 2011

Jeunes chercheurs sacrifiés

Ci-dessous un texte de Frédéric Lordon, Economiste, Directeur de Recherche au CNRS et chercheur au CESSP (Université de la Sorbonne), écrit à l'occasion des réformes Raffarin-Haigneré de la recherche en mars 2003

Le drame de la démagogie, c’est quand elle se croit obligée de tenir ses promesses. Le démagogue en chef a promis la baisse des impôts, et notre tragédie c’est que, obnubilé par la crainte d’avoir l’air de nouveau d’un menteur, cette fois-ci il va le faire, quelque absurde que puissent en être les conséquences ! Il n’est même pas besoin d’insister sur l’injustice sociale foncière de la mesure et moins encore sur son inefficacité économique crasse : le pouvoir d’achat restitué aux plus riches ne fera qu’accroître une épargne dont il ne reste plus qu’à souhaiter qu’elle ait la jugeote d’aller s’investir ailleurs qu’en Bourse...

Jamais probablement un gouvernement n’aura donné une image aussi caricaturale de ce que peut être la droite au pouvoir. Et l’on aurait certainement été renvoyé au registre de la grossièreté partisane si l’on s’était hasardé, il y a quelques mois, à prophétiser cette invraisemblable combinaison de porte-avions en plus et de profs en moins, de police glorifiée et de culture sacrifiée. Renouant donc une fois de plus avec sa tradition de toujours, la droite montre, mais avec une radicalité très méritoire, son mépris presque ontologique, sa fermeture congénitale aux investissements de l’esprit.

C’est peut-être en matière de recherche que la chose est la plus dramatique. Le démagogue ne s’était pourtant pas gêné pour annoncer un effort grandiose et le retour au pays des jeunes cerveaux en fuite. Le démagogue sait-il que les jeunes cerveaux ne fuient pas l’hexagone sous l’effet de la pression fiscale ? Des impôts, ils voudraient bien seulement en avoir à payer... Mais dans ce pays, les meilleurs éléments d’une génération, parvenus au sommet de l’enseignement universitaire, c’est-à-dire au niveau du doctorat, décroché le plus souvent dans d’invraisemblables conditions de précarité matérielle, ceux-là et celles-là sont aux Assedics, quand ça n’est pas au RMI... Mais dans l’élan de la campagne, et comme si la politique était campagne permanente, le démagogue continue de répéter que la baisse de la fiscalité s’impose au delà de toute idéologie, réalisant par là, et à un double titre, le comble de l’idéologie. Et pendant ce temps, la fine fleur de nos jeunes chercheurs dépérit d’attendre des créations de postes que le budget ne peut plus financer après avoir abandonné ses ressources aux baisses d’impôt et aux emplois de domesticité défiscalisés.

Fraîchement tombée de sa capsule, la ministre-astronaute ne semble pas réaliser qu’elle est en train d’endosser la responsabilité de cette régression historique. Dûment instruite par son conseiller budgétaire, lui-même chapitré par Matignon, elle soutiendra que par le jeu des reports de crédits son budget augmente ! Mais ces cache-misère rhétoriques sont pitoyables car dans les faits des postes sont détruits par centaines, et les exilés malgré eux de la recherche française envisagent le départ en rangs serrés. La ministre nous expliquera certainement bientôt que les voyages forment la jeunesse...

Le problème est qu’ils donnent aussi le goût des comparaisons. De ce point de vue, un séjour à l’étranger fait rapidement apercevoir l’immense misère de l’université française – qui avait sûrement besoin qu’on lui fasse encore descendre quelques degrés de plus dans l’échelle de l’abandon. Le campus de Nanterre est dans un état de délabrement qui devrait décourager jusqu’à l’idée de projet éducatif – et pourtant il tourne ! Jussieu et Tolbiac n’ont pas été conçus pour organiser l’accès au savoir mais l’accès des policiers – c’était la belle époque pompidolienne où les étudiants n’étaient que séditieux à mettre au pas ; les bâtiments sont restés, et quelque chose de l’idée aussi probablement. Si la considération qu’une société accorde à ceux qui font l’effort d’apprendre et de penser pour former la relève se mesure aux conditions matérielles qui leurs sont offertes, alors nos post-doctorants en voyage qui forme la jeunesse devraient rapidement en arriver à l’idée que sa jeunesse, précisément, ce pays ne l’aime pas.

Il ne l’aime pas d’ailleurs d’un bout à l’autre de l’échelle sociale, et il faut probablement mettre en rapport la déconsidération matérielle dont font l’objet, à une extrémité, les « privilégiés » des études supérieures, avec le mélange de relégation sociale et de répression policière qui fait l’indépassable condition des jeunes du pôle opposé. Aussi se pourrait-il que des faits aussi hétérogènes en apparence que la chasse aux raveurs et la prohibition des free-parties, le « nettoyage » des halls d’immeubles, l’enfermement dans des maisons de correction opportunément rebaptisées, et la grande misère des post-doctorants révèlent, au delà de leurs gravités différenciées, la cohérence d’un même rapport intergénérationnel, plus lourd encore à porter quand le pouvoir est aux mains de notables autoritaires qui devaient être vieux à vingt ans.

Un mot encore pour revenir au sujet précédent. Pendant les coupes budgétaires, la pantomime continue : du 14 au 20 octobre, c’était la fête de la science ! Quelle sinistre farce.

vendredi 25 mars 2011

3D

Après l'avoir testé au cinéma, j'ai donc été au magasin voir ces télés HD équipées du nouveau système 3D. Pas de doute, ça marche aussi bien à la TV qu'au cinéma. Mais en fait, la surprise vient d'ailleurs : le film de démo qui passait dans le Conforama du coin m'a fait découvrir un effet collatéral que j'avais quelque peu pressenti. Le film présenté était allemand, je crois, ou coréen. Et pour convaincre le badaud de la supériorité palpable de leur technologie 3D, ses concepteurs n'avaient rien trouvé de plus éloquent que de coller trois pouffiasses en mini bikini d'une affligeante vulgarité auprès d'une piscine, accompagnées d'un ou deux bellâtres à Ray Ban qui déambulaient de l'une à l'autre uniquement pour assurer la parité. Et donc, dans ce film techniquement si parfait que s'en était à hurler de bonheur, ces pauvres bimbos low cost se tortillaient à tout vendre pour donner encore plus de relief encore à leurs propres reliefs déjà superfétatoires, avançant vers l'objectif fesses et poitrine siliconées dans des poses grotesques, avec des sourires d'huitres, ajoutant aux 3 dimensions de l'espace la 4ème dimension crasse de la plus affligeante niaiserie. Et la constatation navrante se confirma que plus la perfection des images augmente, plus le niveau de ce qu'elles montrent diminue.

dimanche 13 février 2011

Sursaut ?



En 2011, quatre records devraient être battus : les profits des banques et les bonus distribués dans la finance mondiale d'un côté, le taux de chômage et le taux de pauvreté dans les pays occidentaux de l'autre. Partout, les dirigeants politiques font semblant de ne pas y voir de relations de causalité et, au mieux, improvisent quelques mesures de surface pour calmer les colères. Seul un sursaut des consciences individuelles pourra enrayer la mécanique de financiarisation du monde (voir le dernier ouvrage d'Alain Touraine ou encore l'excellent documentaire vidéo "la mise à mort du travail"). De pays en pays, de mois en mois, des artistes, des écrivains, des cinéastes, des gens de théâtre et quelques encore trop maigres "intellectuels", témoignent de cet état de révolte grandissante. Qu'il éclose... et que nous sachions prendre la mesure de la leçon que nous donnent les peuples Tunisiens et Egyptiens.