Le peintre espagnol Antonio Saura n'a cessé de peindre, tout au long de son oeuvre, les multitudes humaines. Dans son notebook de 1982 sont consignées quelques fulgurences de mots consacrées aux foules. En voici des bribes : "clameur des masses humaines", "lente progression, inflexible et somnambulique de regards déjà éteints", "défilé bruyant de larves noyées dans des clartés et des transparences d'arc-en-ciel", "myriades de regards se formant au hasard au milieu de l'embrouillamini".
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Antonio Saura - Huesca, 1930
Deux points méritent d'être soulignés : 1) Les foules de Saura sont toujours composées de têtes dépourvues de corps, 2) Les faces grimaçantes ne sont pas dispersées mais agrégées ou accolées, comme si elles provenaient d'un immense corps politique dont on ne pourrait fixer les limites ni cerner les contours.
Qu'est-ce qui émane de cette foule de gueules, de cette multitude de regards sidérants, de ce nombre indéterminés d'âmes mortes ou vivantes ? Le sentiment de trouble propre aux individus du grand nombre, une perplexité face à l'étendue de notre corps démographique.
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