vendredi 14 août 2009

Discussion impromptue sur l'ordre universel du monde

Dans le roman d'Umberto Eco, Le nom de la rose, l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville et son secrétaire Adso enquêtent sur une série de meurtres survenus dans une abbaye bénédictine du début du XIVe siècle. Mais ils se livrent en même temps à une passionnante enquête épistémologique sur les rapports entre le langage et le réel, les signes et le sens, les mots et les choses.
Michel de Pracontal, dans son ouvrage L'imposture scientifique en dix leçons, propose un pastiche de l'une des conversations tenue par Guillaume et Adso à propos de la raison des choses. Drôle et pénétrant.
"Vois-tu, Adso, la science traite de propositions sur les choses, et non des choses elles-mêmes. La théorie scientifique est une carte qui nous permet de nous orienter. Nous lisons la carte, et croyons lire ainsi l'ordre du monde. Mais la carte n'est pas le terrain, elle n'est qu'une construction de notre esprit. Rien ne nous garantit que la carte soit exacte. Nous pouvons seulement vérifier par des expériences qu'elle nous fournit une description pertinente.
- Mais alors, Maître, comment expliquer l'universalité des lois physiques ? Comment se fait-il que les lois de la gravitation s'appliquent aussi bien sur notre Terre sur sur Mars ou sur les astres plus lointains ?
- Tout le mystère est là, cher ami. Le scientifique "doit croire" que ses propositions fonctionnent comme des lois universelles, alors même qu'il n'existe aucune garantie de cette universalité.
- Mais, si nous devons croire que nos propositions sont universelles, ne devons-nous pas croire aussi que Dieu les a voulues telles, afin que le monde s'accorde à notre pensée ?
- C'est ce que pensait Descartes. Mais cette solution ne me satisfait pas. Elle impose une contrainte à l'infinie liberté de Dieu. Contrairement à une célèbre boutade d'Albert Einstein, je ne vois pas en vertu de quoi nous interdirions à Dieu de jouer aux dés. La solution cartésienne n'est qu'une manière de fuir le vertigineux abîme que l'ordre de la nature ouvre à notre entendement. De quelque manière qu'on envisage les choses, il reste infiniment mystérieux que la nature se plie à des lois et à des théories.
- Voulez-vous donc dire, Maître, que la raison n'a pas réponse à tout ?
- Elémentaire, mon cher Adso. Seule la foi répond à tout, mais en évitant les questions. En revanche, si tu veux suivre les voies de la raison, il te faudra accepter les points d'interrogation. Siutation inconfortable mais non invivable.
- C'est une voie bien difficile que la vôtre, Maître. Si je vous suis bien, elle ne nous autorise même pas à croire que l'univers à un sens, car un tel énoncé est lui-même dépourvu de sens ?
- Tu me suis pas à pas.
- Mais alors, comment savoir si la vie vaut d'être vécue ?
- Mon cher Adso, je te répondrai par ces simples mots d'Omar Khayyâm, un poète persan qui vivait au XIe siècle de notre ère : "Personne ne peut comprendre ce qui est mystérieux. Personne n'est capable de voir ce qui se cache sous les apparences. Toutes nos demeures sont provisoires, sauf notre dernière. Bois du vin ! Trève de discours superflu !"
- Mais Maître, le vin me donne mal à la tête...
- Alors contente-toi de cette excellente réponse, mise par Shakespeare dans la bouche de Polonius : "Rechercher pourquoi le jour est jour, la nuit est nuit et le temps est temps serait gaspiller le jour, la nuit et le temps."

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